SANTé et OCéAN

les bienfaits de l'océan

La pandémie de coronavirus et la situation tout à fait inhabituelle qui en résulte sont des moments particulièrement difficiles à vivre. Paradoxalement, c’est aussi une occasion propice pour s’interroger sur les relations entre la santé humaine et l’environnement qui nous entoure… 

L’Institut océanographique se penche naturellement sur la relation entre notre santé, l’Océan et une biodiversité préservée. Car l’Océan est source de solutions !

L’Océan nous soigne, grâce aux molécules produites par des organismes marins, et ceci ne fait que commencer, les organismes marins pouvant rapidement jouer un rôle similaire à celui que tiennent leurs cousins terrestres depuis des siècles !

Les organismes marins servent aussi de modèles d’étude car ils possèdent souvent les caractéristiques proches de l’organisme modèle idéal (prolifiques en embryons, lignage cellulaire simple et reproductible, développement embryonnaire souvent externe, etc.). Ils ont permis des découvertes majeures dans les domaines variés de la physiologie, de la médecine et de la chimie, allant jusqu’à plusieurs prix Nobel.

Au quotidien, une bonne santé commence par une alimentation saine et équilibrée. L’Océan procure chaque jour une partie des éléments dont notre métabolisme a besoin, mais encore faut-il préserver la qualité du milieu !

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indonesie Poisson
En Indonésie, comme ici à Banggaï, les poissons fournissent au moins 50 % des protéines animales consommées par la population.
Les calamars séchés permettent de conserver un stock de protéines pendant des mois
Les calamars séchés permettent de conserver un stock de protéines pendant des mois

Un Océan sain pour une alimentation saine

La santé passe par une alimentation suffisante et équilibrée, notamment un apport régulier de protéines, vitamines, lipides, minéraux, oligo-éléments. L’Océan nous apporte une bonne partie de ces éléments indispensables à notre métabolisme.

Au niveau mondial, 20 kg de poissons sont consommés par an et par personne. 17 % des protéines animales consommées par l’homme viennent de la pêche et de l’aquaculture. En Indonésie ou au Sri Lanka, ils fournissent au moins 50 % des protéines animales consommées par la population. C’est dire l’enjeu majeur que présente la préservation des ressources pour la sécurité alimentaire et la santé ! Malheureusement, victimes de la surpêche, de la pollution et de la pêche illégale, les stocks mondiaux de poissons déclinent. 33 % sont surexploités (en Méditerranée, ce taux atteint 62 % !) et 35 % des poissons pêchés n’arriveraient pas dans notre assiette, un gaspillage tout au long de la chaîne, que l’on ne doit plus tolérer. Si l’humanité souhaite rester en bonne santé, il est indispensable, dès maintenant, de gérer les ressources de manière vraiment durable. Et cela est possible !

 Certains spécialistes estiment que, s’il est bien protégé et géré, l’Océan pourrait assurer en 2050 deux tiers des besoins alimentaires mondiaux de protéines estimés à 500 millions de tonnes.

Encore faut-il pour cela que l’Océan reste un milieu sain, pour les organismes comme pour nous. L’Océan, remarquablement robuste aux perturbations, est malheureusement parfois « dépassé » par des pollutions d’origine terrestre : pesticides comme le chlordécone, métaux lourds, pollutions organiques urbaines, ainsi que les questions émergentes des perturbateurs endocriniens ou des nanoparticules. Parfois, c’est la dégradation des écosystèmes qui pose des problèmes sanitaires, comme lorsque la mort des coraux laisse la place aux algues et à la ciguatera toxique.

On a pu longtemps prendre l’Océan pour un garde-manger inépuisable et en même temps une poubelle sans fond. Il nous faut aujourd’hui prendre soin d’un milieu extrêmement vivant, qui nous nourrit et nous soigne!

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L’Océan qui soigne

L’Océan est le berceau de la vie sur notre planète. Il héberge encore une vie extrêmement variée : 34 des 36 phylums existants, dont 14 sont d’ailleurs restés exclusivement marins, 300 000 espèces connues et plus encore d’espèces inconnues.

Les particularités des organismes marins en font une réserve encore peu explorée de voies thérapeutiques pour le futur.

Les exemples de molécules extraites du vivant abondent, utilisées comme agents anticancéreux, antimicrobiens, antiviraux, anti-inflammatoires, antidiabétiques, antihypertenseurs, anticoagulants, antioxydants. Parmi les 145 000 à 150 000 substances naturelles décrites, on estime à quelque        25 000 le nombre de produits d’intérêt pharmacologique ou cosmétique déjà obtenus d’organismes marins, dont plus de 30 % produits par des éponges. Ce nombre a augmenté depuis les dernières décennies laissant présager dans un proche avenir la mise sur marché de nombreux nouveaux remèdes.

C’est que les conditions auxquelles sont exposés les animaux marins (hé oui, en termes de biomasse, l’Océan est plutôt le domaine des animaux, alors que le milieu terrestre est plutôt celui des végétaux) sont aussi diverses qu’originales. Dans les abysses plongés dans la nuit éternelle, des écosystèmes s’organisent autour des sources hydrothermales. L’énergie ne vient plus du soleil, mais de la chimie de ces eaux très chaudes, chargées de soufre et de minéraux. Dans les eaux polaires, poissons et invertébrés résistent à des températures autour de 0 °C. Et partout dans le monde, des animaux fixés au fond doivent, faute de pouvoir fuir les prédateurs, développer un arsenal biologique pour se défendre et préserver leur espace vital.

Depuis des millions d’années, le milieu marin et en particulier le récif corallien vivent une course aux armes chimiques ! Dans un milieu hautement compétitif, les organismes produisent des métabolites et des médiateurs chimiques qui jouent un rôle fondamental dans la structuration et le fonctionnement des écosystèmes, par exemple dans la compétition pour l’espace, la colonisation des surfaces, la défense contre la prédation, la séduction pour la reproduction, etc. Ces attractants ou répulsifs présentent un grand intérêt dans différents domaines relevant de la chimie pour le vivant (santés humaine et animale, cosmétique, phytopharmacie, peintures antifouling…).

Les premiers travaux significatifs en chimie des substances naturelles marines sont ceux du professeur Werner Bergmann, en 1951, qui isole d’une éponge de Floride des nucléosides (éléments constitutifs des acides nucléiques, ADN et ARN) inhabituels que les pharmacochimistes eurent l’idée d’utiliser pour la conception de molécules antitumorales. En 1969, les chercheurs découvrirent dans une gorgone des Caraïbes Plexaura homomalla des quantités importantes d’une prostaglandine (molécules capables de provoquer ou de stimuler les contractions de l’utérus) que l’industrie pharmaceutique peinait à synthétiser. Aujourd’hui, la plupart des molécules d’origine marine en développement clinique sont destinées au traitement des cancers, ou à la lutte contre les virus.

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Corail-Pocillopora-edouxi
Corail-Pocillopora-edouxi
Un hippocampe sur une gorgone de la famille des Plexauridae.
Un hippocampe sur une gorgone de la famille des Plexauridae.
Récif corallien
Récif corallien
Le zoanthaire Palythoa grandis
Le zoanthaire Palythoa grandis produit une toxine puissante, la Palytoxine.
Détail corail Turbinaria réniformis ©M.Dagnino
Détail corail Turbinaria réniformis

DES ANIMAUX MARINS A NOTRE RESCOUSSE

Plus de mille composés isolés d’organismes marins présentent ainsi des actions antivirales et selon une étude récente, la griffithsine, une protéine isolée de l’algue rouge du genre Griffithsia sp., pourrait être un inhibiteur de certains coronavirus en inhibant leurs protéines à pointe, à l’origine de leur aspect en couronne, ce qui empêcherait leur entrée dans les cellules hôtes.

A partir de l’hémoglobine d’un ver marin, l’arénicole qui vit dans le sable, la société de biotechnologie Hemarina a développé un « respirateur moléculaire », une molécule d’origine marine qui possède la propriété de mieux stocker et transporter l’oxygène que l’hémoglobine humaine (elle en fixe 40 fois plus !). Cette molécule devrait rentrer dans une phase test sur des patients atteints du coronavirus avec l’objectif de traiter le syndrome de détresse respiratoire liée au Covid-19, libérant ainsi les respirateurs artificiels pour d’autres patients et soulageant ainsi les services hospitaliers. Ce respirateur moléculaire pourrait trouver d’autres applications dans des cas très particuliers, comme le transport d’organes avant transplantation.

La société marseillaise Coral Biome s’intéresse quant à elle à la palytoxine (produite par des coraux mous du genre Palythoa, ordre des Zoanthaires), une molécule hautement toxique utilisée en traitement contre certains cancers.

De nombreux composés, actuellement en développement clinique pour des activités anticancéreuses, ont été isolés des ascidies coloniales Didemnum molle, invertébrés marins sessiles (caractérisés par leur fixation à un support) communs vivant au sein du récif corallien.

Environ 1 000 fois plus efficace que la morphine, un antalgique synthétisé en copiant une molécule présente dans le venin du cône Conus magus (un mollusque gastéropode marin) est particulièrement indiqué pour alléger les douleurs chroniques intenses.

L’Océan est ainsi une immense bibliothèque autant qu’une pharmacie. Il est essentiel de reconnaître et de valoriser ces fonctions, et d’éviter de les voir s’évaporer par les conséquences du changement climatique, ou de la surexploitation des espèces et de la dégradation des écosystèmes marins, portées par une vue trop courte focalisée sur les profits de la pêche, des hydrocarbures et bientôt des ressources minérales.

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Les organismes marins, modèles pour la science...

L’Océan offre de précieux modèles pour la recherche fondamentale et nombreux sont les travaux qui ont permis de réaliser des avancées décisives en physiologie, médecine et chimie. Pas moins de treize prix Nobel de médecine ou de chimie ont été décernés pour des travaux basés sur des organismes aquatiques : poissons, cnidaires comme la méduse Aequorea victoria ou le siphonophore Physalia physalis, mollusques (bivalves, céphalopodes, limaces de mer), crustacés (crabes), échinodermes (oursins, étoiles de mer), jusqu’à des protozoaires…

C’est grâce à ses travaux sur les intestins des anémones ou sur une étoile de mer qu’Ilya Ilyich Mechnikov, a découvert les phagocytes et la phagocytose (le processus permettant à une cellule d’englober puis de digérer une substance étrangère) en 1883. Il partagea avec Paul Ehrlich le prix Nobel Physiologie et Médecine 1908 et est considéré depuis comme le père de l’immunité cellulaire.

En mesurant les changements de charges électriques et la façon dont les impulsions nerveuses sont échangées entre cellules dans une très grande fibre nerveuse d’une espèce de calmar, John Carew Eccles, Alan Lloyd Hodgkin et Andrew Fielding Huxley furent des précurseurs dans l’étude de la transmission de l’influx nerveux et reçurent conjointement le prix Nobel de physiologie ou médecine 1963.

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Anéméone tomate
Anéméone tomate
Sphaerechinus granularis
L’oursin Sphaerechnis granularis
Hipppocampe moucheté Hippocampus ramulosus
L’hippocampe intéresse les chercheurs car l’expression des gènes du développement fœtal pendant la grossesse (du mâle) ressemble fortement à celle des gènes humains.

ET A L'ORIGINE DE NOMBREUX PRIX NOBEL

L’oursin servit de modèle à Otto von Warburg pour découvrir les vagues calciques anti-polyspermie (un seul spermatozoïde par ovocyte). Pour Eric Kandel et ses travaux sur les bases moléculaires de la mémoire, ce fut une limace de mer.

En étudiant le cycle cellulaire des œufs de l’oursin, Sir Tim Hunt découvrit les cyclines et démontra que ces protéines qui se décomposent au cours des différentes phases du cycle cellulaire jouent un rôle crucial dans sa régulation, non seulement chez les échinodermes, mais également chez les vertébrés. Ces recherches eurent plus tard d’importantes retombées dans l’étude des molécules clés impliquées dans le développement des cancers (cycline et kinase) et valurent à Timothy Hunt, Leland Hartwell et Paul M. Nurse, le prix Nobel de Physiologie et Médecine 2001.

Le prix Nobel de Chimie 2008 récompensa Osamu Shimomura, Martin Chalfie et Roger Tsien pour la découverte dans les organes électroluminescents de la méduse Aequorea victoria d’une protéine fluorescente verte (GFP pour Green Fluorescent Protein) qui brille intensément sous la lumière ultraviolette. Cette protéine révolutionna véritablement les sciences de la vie en permettant de suivre, entre autres, comment les tumeurs cancéreuses forment de nouveaux vaisseaux sanguins, comment la maladie d’Alzheimer tue les neurones cérébraux et comment les cellules infectées par le VIH produisent de nouveaux virus.

Cette protéine synthétisée depuis 1994 est utilisée dans la recherche médicale. Les scientifiques parviennent aujourd’hui à modifier le gène contrôlant la production de GFP pour donner des colorations différentes qui permettent d’étudier les protéines dans leur environnement naturel et de comprendre certains processus pour améliorer nos connaissances sur le réseau complexe qu’est le cerveau humain.

L’æquoréine, une autre protéine extraite de la méduse Aequorea victoria permet quant à elle de doser le calcium dans les tissus musculaires au niveau du contact des terminaisons nerveuses.

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La découverte de l’anaphylaxie

Travaux à bord de la Seconde Princesse Alice
Travaux à bord de la Seconde Princesse Alice

Durant l’été 1901, le Prince Albert Ier dirigea son expédition annuelle dans l’Atlantique, des îles du Cap Vert aux Açores.  Au cours des campagnes précédentes, avec le Docteur Jules Richard, son proche collaborateur, il avait eu l’occasion d’observer que les matelots manifestaient une douleur extrêmement vive, pouvant aller jusqu’à la syncope, au contact d’une sorte de méduse, un cnidaire pélagique appelé physalie Physalia physalis. Il pensa qu’un venin était sans doute en cause.

Travaux à bord de la Seconde Princesse Alice
Travaux à bord de la Seconde Princesse Alice
le Prince Albert Ier
le Prince Albert Ier

Charles Richet, Professeur à la Faculté de Médecine de Paris, et Paul Portier, assistant de physiologie à la Sorbonne, furent invités à se joindre à l’expédition afin d’isoler ce venin et étudier ce phénomène.  Les travaux réalisés à bord de la seconde Princesse-Alice avec la physalie, puis à leur retour à Paris, notamment avec les anémones Actinia equina et Anemonia cerae, consistèrent à injecter dans des animaux cobayes (chiens et pigeons) des extraits de cnidaires, avec un laps de temps suffisamment long entre chaque injection et en utilisant de faibles doses de toxines. 

le Prince Albert Ier
le Prince Albert Ier
Tableau Le laboratoire Louis Tinayre 1908 © M.Dagnino
le Prince Albert Ier

Au lieu d’être immunisés, les animaux cobayes manifestèrent une sensibilité de plus en plus grande, allant jusqu’à la mort.  Richet et Portier publièrent la découverte de l’anaphylaxie en 1902 et la définirent ainsi : « Nous appelons anaphylactique, au contraire de phylaxie, la propriété dont est doué un venin de diminuer et non de renforcer l’immunité, lorsqu’il est injecté à des doses non mortelles ».  Cette découverte posa les premières bases de l’allergologie (ensemble des connaissances relatives aux réactions provoquées dans l’organisme par l’introduction d’une substance étrangère appelée antigène) et valut à Charles Richet le prix Nobel de Physiologie et Médecine 1913.

Lien vers le prix Nobel : https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1913/richet/lecture/

Timbre 1901 Decouverte de l'anaphylaxie
Travaux à bord de la Seconde Princesse Alice
Portrait du Dr Richet
Portrait du Dr Richet

En expérimentant avec des extraits de tentacules de certaines anémones de mer, Richet et Portier trouvèrent que les chiens qui avaient reçu une injection de cet extrait devenaient excessivement sensibles à l'action d'une seconde dose. Ces chiens pouvaient être tués par une quantité qui représentait seulement une fraction de la dose fatale pour un chien non traité. Ils appelèrent Anaphylaxie cet état de sensibilité anormale du sujet à l'action de certaines substances. […] Il y eut au début beaucoup de surprise et d'incrédulité car les savants avaient jusqu'ici, été accoutumés à regarder la réaction d'immunisation ou de diminution de la sensibilité comme la réponse appropriée d'un organisme à l'injection de substances étrangères. Il était donc étonnant que le phénomène exactement opposé pût se produire. Ainsi les lois de l'immunité étaient complètement bouleversées.

Biomimétisme et bio-inspiration

Le biomimétisme et la «bio-inspiration » (certains chercheurs considèrent qu’on ne copie pas la nature mais qu’on s’en inspire) sont des approches qui consistent à étudier la nature sous ses innombrables formes (animaux, plantes, champignons, micro-organismes, écosystèmes). Elles nous offrent la possibilité de changer notre façon de cultiver ou d’élever des organismes, de fabriquer des matériaux, de stocker de l’information, de nous soigner ou de produire de l’énergie. Les récifs coralliens, parce qu’ils sont des communautés extrêmement productives, riches en biodiversité et le territoire d’expression d’une multitude de médiateurs chimiques, constituent une source d’inspiration précieuse en matière de santé, pour nos cités contemporaines en recherche de solutions efficaces et durables.

Nautile
Le nautile, source d'inspiration et pas que pour Jules Verne ! (c) Universcience

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